Les changements apportés au statut des administrateurs et à la gouvernance par la loi du 28 février 2019 * | Fieldfisher
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Les changements apportés au statut des administrateurs et à la gouvernance par la loi du 28 février 2019 *

11/03/2019

La réforme du droit des sociétés et des associations, introduisant le Code des sociétés et des associations ("CSA")  a finalement été votée ce 28 février 2019**. Il s'agit d'une  réforme ambitieuse, qui reprend toute la législation relative aux sociétés, associations et fondations.

Ainsi qu'explicité dans l'exposé des motifs, les objectifs principaux sont une simplification d'envergure (seules 4 formes de sociétés subsistent), une flexibilisation poussée par une large autonomie contractuelle et une adaptation aux évolutions européennes.

Le CSA est ainsi divisé en 5 parties:

  1. Les dispositions générales (livres 1 à 3);

  2. Les sociétés (livres 4 à 8);

  3. Les associations et fondations (livres 9 à 11);

  4. Les restructurations et transformations (livres 12 à 14);

  5. Les formes légales européennes (livres 15 à 17).

L'entrée en vigueur des nouveaux textes est fixée au 1er mai 2019. A partir de cette date, toute nouvelle société ou association devra se conformer au nouveau texte.

Les sociétés et associations existantes pourront, dès cette date, choisir d'être régies par la nouvelle loi (moyennant modification de leurs statuts – le système d'opt-in). Les dispositions impératives de la nouvelle loi, ainsi que les dispositions supplétives auxquelles les statuts ne dérogent pas s'appliqueront à partir du 1er janvier 2020. Toutes les sociétés devront adapter leurs statuts à la nouvelle loi au plus tard le 1er janvier 2024. Les formes de société qui disparaissent dans le cadre de cette réforme seront transformées de plein droit dans la forme qui leur est la plus proche au 1er janvier 2024.

Certaines de ces modifications et innovations touchent le statut de l'administrateur et la gouvernance, et ce de façon parfois substantielle.

L'objet de la présente contribution est d'exposer, de manière synthétique et non-exhaustive, les grandes lignes de la nouvelle loi, avec une attention particulière sur les deux types principaux de sociétés de capitaux (soit la  société anonyme "SA" et la société privée "SRL" – qui devient la forme classique pour toutes les sociétés, quelle que soit leur taille, qui ont un caractère fermé). Les règles particulières applicables aux sociétés cotées, par ailleurs moins visées par la réforme, ne seront évoquées qu'incidemment.

Nous proposons après une description des dispositions générales, d'examiner plus particulièrement les règles applicables au sein des SA et des SRL.

Dispositions générales

Les dispositions générales sont susceptibles de s'appliquer à toutes les formes de sociétés ainsi qu'aux associations et fondations.

On y retrouve ainsi notamment la confirmation de certains principes généraux comme par exemple:

  • La compétence de l'assemblée générale pour fixer toutes les composantes de la rémunération des administrateurs;

  • Rémunération de principe des administrateurs;

  • Les administrateurs sont tenus à la bonne exécution de leur mandat et l'appréciation de leur responsabilité doit faire l'objet d'un contrôle marginal;

  • Le représentant permanent d'une personne morale doit nécessairement être une personne physique (interdiction des cascades: personne morale représentée par personne morale elle-même représentée par personne physique). Cette personne physique ne doit plus nécessairement (voir régime antérieur – article 60) être actionnaire, membre de l'organe de gestion ou travailleur de cette personne morale. En outre, les règles en matière de conflit d'intérêt applicables aux gérants et membres de l'organe d'administration s'appliquent au représentant permanent qui est personnellement sous l'empire d'un conflit d'intérêt, que la personne morale administrateur ait ou non un conflit d'intérêt et possibilité. Il existe finalement une possibilité, en cas d'absence d'autres administrateurs dans l'organe de gestion, de désigner un représentant permanant suppléant;

  • Une même personne physique ne peut agir en la double qualité de représentant direct et représentant permanent d'une personne morale;

  • Possibilité pour les administrateurs d'élire domicile au siège statutaire de la société pour toutes les affaires qui concernent l'exercice de leur mandat;

  • Si la continuité de l'entreprise est compromise, l'organe d'administration doit délibérer sur les mesures qui devraient être prises pour assurer la continuité de l'activité économique pendant une période minimale de 12 mois.

Deux modifications essentielles concernent le principe de la révocabilité ad nutum des administrateurs et les règles applicables en matière de responsabilité.

Le principe de la révocabilité ad nutum des administrateurs

Le CSA contient une remise en cause fondamentale du principe, essentiel à ce jour, de la révocation ad nutum des administrateurs. Pour rappel, selon ce principe, l'assemblée générale des actionnaires peut toujours et à tout moment mettre fin au mandat d'un administrateur sans devoir justifier du moindre motif. Ce principe devient dorénavant supplétif: l'assemblée générale peut donc fixer les conditions financières et autres conditions auxquelles il est mis fin à un tel mandat (administrateur irrévocable ou non, définissant des justes motifs permettant sa révocation, délai et/ou indemnité de préavis, …).

La responsabilité des administrateurs

Outre une extension des hypothèses de responsabilité solidaire (pour toutes les fautes de gestion et surveillance lorsque l'administration ou la surveillance sont organisées de manière collégiale et un assouplissement des conditions requises pour qu'un administrateur puisse échapper à la responsabilité pour les fautes auxquelles il n'a pas pris part (soit la suppression de l'obligation de dénonciation à la plus prochaine assemblée générale) –et ce en cas de violation de la loi ou les statuts-, l'innovation principale concerne la limitation de la responsabilité des membres des organes de gestion à des montants plafonds. Ces montants sont fonction de la taille de la personne morale au sein de laquelle le mandat est exercé (total du bilan et chiffre d'affaires hors TVA, indépendamment du nombre de travailleurs employés).

On retrouve ainsi les montants minima et maxima suivants (avec des plafonds intermédiaires), calculés sur la moyenne des trois derniers exercices*** précédant l'action en responsabilité:

  • EUR 125.000 pour un chiffre d'affaires (hors TVA) inférieur à EUR 350.000 et un total du bilan qui n'excède pas EUR 175.000;

  • EUR 12.000.000, si une des deux limites suivantes est atteinte ou dépassée: un chiffre d'affaires (hors TVA) de EUR 50.000.000 et un total du bilan de EUR 43.000.000.

Notons en outre que:

  • Ces montants, susceptibles d'être indexés, s'appliquent tant vis-à-vis de la société que des tiers, par fait ou par ensemble de faits et quel que soit le fondement de l'action en responsabilité, le nombre de demandeurs ou d'actions et le nombre de personnes conjointement responsables;

  • Cette limitation ne joue ni en cas de faute légère présentant dans le chef des administrateurs un caractère habituel plutôt qu'accidentel, ni en cas d'intention frauduleuse/dessein de nuire, ni pour certaines responsabilités en matière sociale et fiscale …

Parallèlement à cette limitation de la responsabilité, les textes proposés confirment l'interdiction pour une société (ainsi que ses filiales ou entités contrôlées) d'accorder à ses administrateurs des clauses d'exonération et/ou de garantie.

La société anonyme (SA)

Pour rappel, la société anonyme devrait à l'avenir être limitée à des sociétés de taille plus importante et/ou qui ont un caractère public. En effet, sous l'impulsion notamment (mais pas seulement) des directives européennes, cette forme de société est à ce jour soumise à des règles et contraintes importantes. La plupart de ces contraintes resteront applicables.

Au niveau de la gestion cependant, le projet de réforme apporte des innovations intéressantes. En effet, outre le conseil d'administration classique que nous connaissons à ce jour (dit "moniste"), la nouvelle loi introduit le concept d'administrateur unique et le système dualiste.

L'administrateur unique

Le système de l'administrateur unique permet ainsi notamment de rencontrer les objectifs précédemment obtenus par l'utilisation de la société en commandite par actions (qui disparait). Ainsi, les statuts de la SA peuvent prévoir une responsabilité solidaire et indéfinie pour cet administrateur et ils peuvent nommer son successeur. De plus, le consentement de l'administrateur unique peut être exigé pour toute modification des statuts, toute distribution aux actionnaires et, sous certaines réserves, sa révocation. Notons de plus que dans les sociétés où une administration polycéphale est requise, l'administrateur unique doit être une SA avec une administration collégiale au sein duquel les mêmes règles sont applicables.

Le système dualiste

L'introduction du système dualiste est une innovation essentielle de la nouvelle loi: il s'agit de la dissociation, au sein de la gestion, entre d'une part les pouvoirs attribués au conseil de surveillance (dont les membres sont nommés par l'assemblée générale des actionnaires) et d'autre part les pouvoirs attribués au conseil de direction (dont les membres sont nommés par le conseil de surveillance).

Le conseil de surveillance est chargé de se prononcer sur les grandes orientations stratégiques, d'effectuer tous les actes réservés au conseil d'administration sur la base des dispositions du code et de surveiller le conseil de direction (en ce compris la décharge à ses membres et l'exercice de l'action sociale à leur encontre). Le conseil de direction est quant à lui chargé de la gestion opérationnelle et dispose d'un pouvoir de représentation général; à ce titre il doit, au moins une fois par an, faire un rapport écrit sur les lignes directrices de la politique stratégique générale, les risques généraux et financiers ainsi que les systèmes de gestion et de contrôle de la société. Il peut aussi déléguer la gestion journalière.

Notons que les pouvoirs de chaque organe sont exclusifs (il ne s'agit donc pas de compétences concurrentes) et que, bien entendu, la même personne ne peut être membre des deux organes.

Suite à l'introduction de ce système dualiste, le "comité de direction" (au sens de l'article 524 bis du Code des sociétés actuel) qui n'avait rencontré dans la pratique qu'un succès limité, perd son existence légale. Les comités actuellement constitués resteront soumis au régime actuel (articles 524 bis et 524 ter) jusqu'au jour où les sociétés auront adapté leurs statuts (soit pour le 1er janvier 2024 au plus tard).

Nous noterons de plus, les quelques modifications suivantes:

  • La définition du concept de "gestion journalière" recouvre désormais " les actes et décisions qui n'excèdent pas les besoins de la vie quotidienne de la société et les actes et les décisions qui, soit en raison de leur intérêt mineur, soit en raison de leur caractère urgent, ne justifient pas l'intervention du conseil d'administration". Il s'agit d'une extension de la définition actuelle donnée par la Cour de Cassation qui ne correspondait pas (ou à tout le moins plus) aux exigences de la vie des affaires;

  • En cas de conflit d'intérêt au sein de l'organe de gestion (on parle désormais d'un "intérêt direct ou indirect de nature patrimoniale qui peut être contraire à l'intérêt de la société"), outre un devoir de communication, l'administrateur concerné ne peut plus participer à la réunion ou prendre part au vote. Dans le système actuel, l'interdiction pour l'administrateur concerné de participer à la délibération et au vote ne valait que pour les sociétés ayant fait ou faisant publiquement appel à l'épargne;

  • Les mandats des administrateurs commencent en principe à courir à partir de l'assemblée générale qui a procédé à la nomination et se terminent lors de l'assemblée générale ordinaire ayant lieu dans l'année comptable durant laquelle leur mandat prend fin selon la décision de nomination;

  • Le principe selon lequel tout administrateur peut présenter sa démission à tout moment mais qu'il ne peut le faire de manière intempestive est confirmé. Il doit de plus, à la demande de la société, rester en fonction le temps raisonnablement nécessaire pour permettre à la société de pourvoir à son remplacement. De plus, l'administrateur démissionnaire est autorisé à procéder lui-même à la publication de sa démission si la société reste en défaut de le faire;

  • La possibilité pour le conseil d'administration de prendre, à l'unanimité, des résolutions écrites n'est plus limité que par d'éventuelles restrictions statutaires. A ce jour, cette procédure ne peut être utilisée, outre clause statutaire expresse, que dans des cas exceptionnels dûment justifiés par l'urgence et l'intérêt social et est interdite pour certaines décisions (dont notamment l'arrêt des comptes annuels).

La société privée (SRL)

La SRL a vocation à devenir la société "classique" pour toute société fermée; elle offre une flexibilité et liberté optimale. Ainsi par exemple, il n'est plus nécessaire d'avoir un capital social et la possibilité d'émettre tout type de titre (sauf interdiction expresse), en ce compris des titres sans droit de vote ou droit de vote multiple.

Au niveau de la gouvernance, on retrouve les principes généraux selon lesquels la société est administrée par une ou plusieurs administrateurs (le concept de "gérant" disparaissant), personnes physiques ou morales, nommés pour une durée déterminée ou indéterminée, administrateur statutaire ne pouvant être révoqué que pour juste motifs et le concept de gestion journalière (selon la même définition que pour la SA) est introduit.

De même, outre les dispositions générales, les évolutions (positives) décrites ci-dessus pour la SA sont évidemment également applicables à la SRL, soit notamment l'introduction (une nouveauté pour la SRL) de la possibilité de recourir à des résolutions écrites, sans la moindre limitation (autre que statutaire).

 

* Cet article est une mise à jour du texte que nous avions rédigé fin 2017 sur la base du projet de loi existant à cette date.

** A ce jour, la loi n'a pas encore été publiée au Moniteur belge.

*** On note à cet égard que la version francophone du texte n'a pas été dûment amendée et vise encore, pour le premier seuil, l'exercice précédant l'intentement de l'action …

 

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