Dérogation espèces protégées et avis du Conseil d'Etat : les incertitudes sont-elles toutes levées ? | Fieldfisher
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Insight

Dérogation espèces protégées et avis du Conseil d'Etat : les incertitudes sont-elles toutes levées ?

Le Conseil d’Etat a rendu son avis, le 9 décembre dernier (affaire n°463563), sur les questions soumises par la Cour administrative d'appel de Douai relatives aux dérogations à l'interdiction de destruction d'espèces protégées (arrêt n°20DA01392 du 27 avril 2022). Si cet avis était très attendu par les acteurs du secteur des EnR, les principes qu'il fixe trouvent à s'appliquer à tout projet d'infrastructure ou immobilier dont la réalisation est susceptible de nécessiter l'octroi d'une telle dérogation.
 
Pour mémoire, la Haute juridiction devait notamment répondre aux questions suivantes :
 
  • existe-t-il un seuil, notamment en nombre de spécimens affectés, en deçà duquel le pétitionnaire n’est pas tenu de solliciter cette dérogation ?
 
  • l'administration doit-elle tenir compte des mesures d’évitement, de réduction et de compensation (ERC) des incidences du projet prévues par le pétitionnaire pour apprécier si une telle demande est nécessaire ?
 
Après avoir rappelé que les directives européennes prévoient un régime de protection stricte des espèces animales concernées et de leurs habitats, et qu'une dérogation ne peut être accordée que si trois conditions distinctes et cumulatives sont remplies[1], le Conseil d'Etat fournit un mode d'emploi en deux étapes permettant aux porteurs de projet de déterminer les cas dans lesquels ils doivent déposer une demande de dérogation espèces protégées :
 
  • La première étape, relativement objective, consiste à examiner si des spécimens appartenant à une espèce protégée sont présents sur la zone du projet. A ce stade, il n'y a pas lieu de prendre en compte le nombre de spécimens ou l’état de conservation des espèces protégées ;
 
  • En présence de tels spécimens, une demande ne devra effectivement être déposée que si le risque que le projet comporte pour les espèces protégées est « suffisamment caractérisé », après prise en compte des mesures d’évitement et de réduction prévues par le pétitionnaire. C'est cette seconde étape, nécessairement plus subjective que la précédente, qui sera déterminante pour apprécier la nécessité ou non de solliciter une dérogation. En revanche, ce n'est qu'au moment de statuer sur l’octroi ou non de la dérogation (c'est-à-dire une fois que la demande a été déposée) que les mesures de compensation pourront être prises en compte par l'autorité compétente.
 
Une demande de dérogation devra donc être déposée si (i) au moins un spécimen est présent sur la zone du projet et (ii) s'il existe un risque « suffisamment caractérisé » pour les espèces protégées. Autrement dit, contrairement à ce que soutiennent régulièrement les associations à l'appui de leurs recours et à certaines décisions de juridiction du fond, la simple présence d'un spécimen sur la zone du projet ne suffit pas, en elle-même et à elle seule, à rendre nécessaire le dépôt d'une demande de dérogation.
 
L'avis rendu ne permet cependant pas de répondre totalement aux interrogations des porteurs de projet.
 
D'une part, la notion de risque « suffisamment caractérisé » n'est pas précisément définie (et ne pouvait l'être dans le cadre de l'office du Conseil d'Etat saisi pour avis) et pourra être sujette à des interprétations potentiellement divergentes par les services instructeurs et, surtout, par les juridictions du fond.
 
D'autre part, la Cour de cassation a récemment jugé (Cass. Civ. 3ème 30 novembre 2022, n°21-16.404) que le délit d'atteinte à la conservation d'espèce animale non domestique protégée (article L. 415-3 du code de l'environnement) est constitué dès la destruction d'un seul spécimen lorsqu'une dérogation n'a pas été demandée par le porteur de projet, et ce même par imprudence.
 
On peut donc s'interroger sur le sort du porteur de projet n'ayant pas sollicité de demande de dérogation espèces protégées conformément à l'avis du Conseil d'Etat, mais dont la mise en œuvre du projet conduit à la destruction , in fine, de spécimens relevant de telles espèces. Sa responsabilité civile et pénale pourra-elle être engagée alors même que son projet est conforme à la jurisprudence administrative ?
 

[1] A savoir (i) l'absence de solution alternative satisfaisante, (ii) la condition de ne pas nuire au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle et (iii) l'existence d'une raison impérative d'intérêt public majeur.

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