Le Tribunal des conflits juge la Cour d'appel de Paris compétente pour connaître du caractère excessif des publications de l’Autorité de la concurrence | Fieldfisher
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Le Tribunal des conflits juge la Cour d'appel de Paris compétente pour connaître du caractère excessif des publications de l’Autorité de la concurrence

C’est un arrêt très intéressant qu'a rendu le Tribunal des conflits, le 11 avril 2022 (n°C4242), par lequel il a jugé que, si les actions de communication de l'Autorité de la concurrence, relevaient en principe de la compétence de la juridiction administrative, la diffusion par celle-ci, concomitamment à la mise en ligne d'une décision de sanction sur son site internet, d'une vidéo et de commentaires se rapportant uniquement à cette sanction particulière n'était pas dissociable de la décision de sanction elle-même et que, dès lors, le litige relevait de la Cour d'appel de Paris.
 

Compte tenu de l'activité de communication relativement intense de l'Autorité sur ses décisions de sanction ces dernières années, cet arrêt du Tribunal des conflits était attendu avec intérêt par les entreprises qui en font l'objet.

Cette décision du Tribunal des conflits fait suite à l'arrêt qu'avait rendu la Cour de cassation, le 5 janvier 2022, dans lequel elle lui avait renvoyé le soin de décider de l’ordre de juridiction compétent pour connaitre d’une éventuelle contestation de la communication organisée par l'Autorité de la concurrence sur une décision n°20-D-11 du 9 septembre 2020 par laquelle celle-ci avait condamné 3 laboratoires (dont Roche qui est à l'initiative de la contestation) pour des pratiques d'abus de position dominante.

En application de l'article D. 464-8-1 du Code de commerce, l’Autorité avait publié sur son site internet, comme c’est l’usage, le texte intégral de la décision ainsi qu’un communiqué de presse en résumant le contenu, sans que ce communiqué ne précise qu'un recours avait été introduit contre la décision devant la Cour d'appel de Paris. Mais l’Autorité a également publié en français et en anglais une vidéo de 1mn 40s, sur différents réseaux sociaux et dans différents médias, censée résumer le contenu de cette décision, mode de communication de l’Autorité par ailleurs inhabituel.

Roche considérait notamment que cette vidéo comportait de nombreux raccourcis et approximations et omettait des éléments essentiels à la bonne compréhension par le public de la portée de la décision. C'est la raison pour laquelle Roche avait mis en demeure l’Autorité de retirer la vidéo, ce qu’elle avait refusé de faire.

L’Autorité avait également adressé au syndicat représentatif des entreprises du médicament un courrier visant à porter à son attention sa décision, laissant entendre, selon la requérante, que les pratiques visées se poursuivraient encore aujourd’hui.

Parallèlement au recours au fond, Roche avait donc attrait l'Autorité devant le délégué du premier président de la Cour d'appel de Paris en demandant, sur le fondement de l'article L. 464-8 du Code de commerce, qu'il soit enjoint à l'Autorité de cesser toute publication relative à sa décision n°20-D-11 et, à titre subsidiaire, qu'il lui soit enjoint, d'une part, de mentionner dans toute déclaration relative à cette décision l'existence d'un recours pendant devant la Cour d'appel de Paris et, d'autre part, de s'abstenir d'initier toute démarche, courrier ou autre forme de communication, adressée à des tiers spécifiquement ciblés.

Par une ordonnance rendue le 12 mai 2021, le délégué du premier président de la Cour d'appel de Paris s'est déclaré incompétent pour statuer sur les demandes de Roche. C'est contre cette ordonnance qu'avait été formé le pourvoi en cassation.

En résumé, la question juridique qui était soumise à la Cour de cassation (et au Tribunal des conflits à sa suite) était de savoir si des mesures de publications telles que celles critiquées en l'espèce étaient suffisamment indissociables de la décision rendue au fond pour justifier que la Cour d'appel de Paris soit compétente pour en connaître.

En effet, pour mémoire, la Cour d'appel de Paris dispose, en vertu de l'article L. 464-8 du Code de commerce, d'une compétence dérogatoire pour connaître des recours formés contre un certain nombre de décisions de l'Autorité, limitativement listées dans l'article. En revanche, les juridictions administratives conservent leur compétence de principe pour statuer sur les recours formés contre des décisions de l'Autorité qui ne figureraient pas dans cette liste (comme en matière de contrôle des concentrations par exemple).

Cette question de compétence se posait avec d'autant plus d'acuité dans le cas d'espèce que le Tribunal des conflits avait rendu une décision, le 5 octobre 2020, par laquelle il avait jugé que « la décision prise par l'Autorité de la concurrence, sur le fondement des dispositions précitées de l'article D. 464-8-1 du code de commerce, de limiter ou non la publicité d'une décision prise sur le fondement de l'article L. 464-1 du code est indissociable de cette décision elle-même. Dès lors, sa contestation relève également de la cour d'appel de Paris ».

C'est la raison pour laquelle la Cour de cassation avait sursis à statuer jusqu'à ce que le Tribunal des conflits ait tranché la question de savoir si les demandes de Roche relèvent ou non de la compétence de la juridiction judiciaire

La décision à venir du Tribunal des conflits était attendue avec grand intérêt car elle permet de déterminer la juridiction compétente (judiciaire ou administrative) pour statuer sur les publications, de plus en plus nombreuses, effectuées par l'Autorité sur les décisions de sanction qu'elle rend.

En effet, comme l'illustre le cas de Roche, l'Autorité a développé depuis quelques années une activité de communication relativement intense sur sa pratique décisionnelle, que ce soit sur son site internet ou via la presse et les réseaux sociaux, souvent hors de tout cadre juridique et pas toujours de manière très rigoureuse, ce qui peut être critiquable, ainsi que le faisait valoir la requérante, au regard de plusieurs principes :

  • En principe, les mesures de publication sur le contenu d'une décision sont fondées sur l'article L. 464-2 I, alinéa 5, du Code de commerce qui prévoit que l'Autorité peut ordonner la publication, la diffusion ou l'affichage de sa décision ou d'un extrait de celle-ci selon les modalités qu'elle précise, ce qui suppose que ces sanctions de publication soient explicitement prévues par la décision, ce qui n'est pas toujours le cas (même si l'article D. 464-8-1 du Code de commerce prévoit que les décisions de l'Autorité sont publiées sur son site internet).​​ Autrement dit, des mesures de publication sont en principe des peines complémentaires associés à une décision de sanction, et une publicité excessive de l'Autorité sur une telle décision peut donc être analysée comme une sanction dépourvue de base juridique.
  • Une stratégie de communication excessive peut aussi constituer une violation de l'obligation de discrétion et du devoir de réserve qui s'imposent à l'ensemble de ses agents et membres du Collège, prévus par l'article 9 de a loi du 20 janvier 2017 et dont la portée est précisée par la Charte de déontologie de l'Autorité.
  • Une activité de publication intense, alors qu'un recours est pendant contre la décision de sanction, peut aussi être perçue comme une atteinte à la présomption d'innocence prévue par l'article 9-1 du Code civil.

A cela peut s'ajouter le fait que le contenu desdites publications ne doit pas non plus dévoyer le sens d'une décision et de la substance d'une affaire, ce que peut parfois engendrer une tentative de synthèse d'une décision en raison de sa vocation simplificatrice. On prendra à cet égard comme exemple le cas des différentes entreprises sanctionnées pour « obstruction » à l’enquête de l’Autorité en vertu de l’article L. 464-2 V du Code de commerce visées par un encart du site internet de l’Autorité intitulé « Obstruction à l'enquête ou à l'instruction : une mauvaise stratégie », alors même qu’un arrêt récent de la Cour de cassation a explicitement reconnu que cette infraction ne supposait pas la démonstration d’une quelconque connaissance par la direction de l’entreprise des faits commis par leurs salariés, ce qui exclut de facto toute idée de « stratégie ».

Enfin, la dissymétrie entre la communication organisée autour des décisions de sanction (décision elle-même, communiqué de presse sur le site de l’Autorité, voire sur d’autres pages, et, le cas échéant, mesures de publication additionnelles éventuellement ordonnées ou communication sur les réseaux sociaux, alors même qu’un recours est parfois pendant) et son absence totale en ce qui concerne les décisions de rejet ou de non-lieu interroge, notamment quant au respect scrupuleux du principe de présomption d’innocence, d’autant plus que l’Autorité est désormais autorisée à communiquer sur les griefs qu’elle aura notifiés à l’entreprise in fine mise hors de cause en vertu de l’article L. 463-6 du Code de commerce (voir par exemple son communiqué dans l’affaire du bisphénol A).

Une remarque analogue peut être formulée à l’égard des décisions de la Cour d’appel de Paris (ou de la Cour de cassation) réformant ou infirmant les décisions de sanction de l’Autorité.

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