Développement des énergies renouvelables : regards croisés entre Paris et Bruxelles | Fieldfisher
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Insight

Développement des énergies renouvelables : regards croisés entre Paris et Bruxelles

Introduction

Dans le contexte de crise énergétique et climatique auquel la France se trouve confrontée, à l'instar de nombreux autres pays européens, la loi n°2023-175 du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables a été adoptée par le Parlement français et promulguée. L'essentiel de cette loi a été jugé conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel[1].
 
Cette loi prévoit plusieurs séries de dispositions ayant pour objet de faciliter le développement des projets d'installations de production d'énergies renouvelables (EnR). Certaines de ces dispositions peuvent être mises en regard avec celles issues des récentes réformes introduites au niveau de l'Union européenne et poursuivant le même objet.
 
En effet, depuis l'adoption du Green Deal[2] et plus récemment du paquet législatif REPower EU[3], on relève une volonté certaine d'accélérer le déploiement des énergies renouvelables, objectif guidant les propositions de textes européens présentées par la Commission européenne en matière énergétique.

Les mesures suivantes méritent une attention particulière.

Analyse
 
  • Création d'un fonds de garantie destiné à compenser une partie des pertes financières subies par certains porteurs de projet EnR qui résulteraient d’une annulation par le juge d'autorisations administratives[4] (art. 24)
     
Les porteurs de projet bénéficiant d'un dispositif de soutien public (obligation d'achat ou contrat de complément de rémunération) pourront adhérer à ce fonds en contrepartie du versement d'une contribution. Cette adhésion devra intervenir après la délivrance de l'autorisation et avant le début des travaux de construction. L'article 24 de la loi détermine les pertes financières pouvant être compensées et renvoie à un décret en Conseil d'Etat la fixation des modalités d'application du mécanisme.
 
Ce fonds devrait avoir pour conséquence directe une accélération des projets en incitant les porteurs de projets EnR à débuter les travaux de construction malgré l'exercice d'un recours par des tiers. Il conviendra cependant d'examiner si ce mécanisme présente les mêmes garanties que celles habituellement offertes par les produits d'assurance privés auxquels ont recours les porteurs de projet EnR.
 
Il convient également de relever que les différents instruments européens récents (la proposition de réforme du marché de l'énergie[5], la proposition de modification de la directive relative à la promotion de l'énergie produite à partir de sources renouvelables "RED III"[6]  et la directive relative à l'efficacité énergétique[7]) ne prévoient pas de mécanisme de garantie similaire. Ce dispositif représente ainsi une spécificité française, dont pourraient utilement s'inspirer les autres Etats membres voire le législateur européen.
 
  • Présomption de "raison impérative d'intérêt public majeur" (RIIPM) pour certains projets d'installations d'EnR
    (art. 19).

Trois conditions doivent être réunies pour qu'une dérogation à l'interdiction de destruction des espèces protégées (DEP) soit accordée pour un projet EnR[8]. L'article 19 de la loi du 10 mars 2023 prévoit qu'une de ces conditions, la RIIPM, est présumée pour certains projets d'installation d'EnR. Cette mesure fait écho à la présomption d'"'intérêt public supérieur" prévue en droit européen et ayant un objet similaire[9].
 
La présomption introduite par la loi du 10 mars 2023 est de nature à faciliter l'implantation de projets d'EnR. Toutefois, elle n'implique pas l'octroi automatique d'une DEP puisqu'elle ne vise qu'une des trois conditions prévues par le code de l'environnement à cet effet. Par ailleurs, l'article 19 de la loi prévoit que la présomption s'appliquera aux installations concernées sous réserve qu'elles satisfassent aux conditions qui seront précisées par décret en Conseil d'Etat.
 
Le critère de "l'intérêt public supérieur" a également fait l'objet de discussions longues et approfondies à Bruxelles. La proposition de modification des directives sur les énergies renouvelables et l'efficacité énergétique inclut dans sa nouvelle version publiée (article 16e) une présomption selon laquelle "la production d'énergie à partir de sources renouvelables, le raccordement au réseau et le réseau lui-même ainsi que les installations de stockage sont d'un intérêt public supérieur".
 
On peut noter, à titre d'exemple, que dans la région flamande en Belgique, cette présomption n'existe pas. Les producteurs d'EnR doivent ainsi prouver que leurs projets peuvent être considérés comme des projets d'intérêt public.
 
L'introduction de cette présomption réduira considérablement la charge administrative des producteurs d'énergie et facilitera le déploiement des projets d'EnR, en inversant la charge de la preuve.
 
  • Création d'un cadre juridique applicable aux power purchase agreement (PPA) d'électricité et de gaz renouvelable/gaz bas-carbone (art. 86).

La loi du 10 mars 2023 prévoit plusieurs mesures applicables aux PPA. En particulier, elle introduit la nécessité pour les producteurs d'obtenir une autorisation administrative afin de vendre l'électricité produite et rend possible le cumul d'un PPA avec le bénéfice d'un dispositif de soutien financier de l'Etat (contrat d'achat ou complément de rémunération).
 
En outre, la loi permet expressément aux acheteurs publics (pouvoirs adjudicateurs et entités adjudicatrices) de conclure un PPA avec un producteur dans le respect des règles prévues par le code de la commande publique.
 
En particulier, l'article 86 de la loi lève une interrogation tenant à la compatibilité de la longue durée des PPA avec le droit de la commande publique (lorsque l'acheteur est public) : la durée du contrat devra être définie en tenant compte de la nature des prestations et de la durée d'amortissement des installations nécessaires à leur exécution.
 
Ce cadre juridique nouveau devrait ainsi contribuer à sécuriser les projets de PPA et à rattraper le retard français (à titre de comparaison, la France comptabilise 600 MW de capacités renouvelables contractées en PPA là où, par exemple, l’Espagne en compte 13 GW et la Belgique 1,3 GW[10]).
 
La France et l'UE ont également mis en place un dispositif de garanties afin de faciliter le déploiement des PPA.
 
Il convient de rappeler qu'en France, le gouvernement a annoncé, en novembre 2022, la création d'un fonds de garantie géré par Bpifrance destiné à couvrir en partie le risque de défaut des industriels acheteurs d'électricité via des PPA. Ce nouveau fonds concernerait tous les types de sources d'énergies renouvelables électriques. Le fonds sera autoalimenté par les primes versées par les producteurs au titre des contrats garantis et la récupération d'une partie de leurs revenus excédentaires en cas de prix élevés sur le marché. Le gouvernement a pour objectif de garantir les premiers contrats en 2023.
 
Au niveau européen, la Commission européenne a également encouragé, dans sa proposition "RED III" (article 15), l'utilisation de "garanties de crédit" pour réduire les risques financiers des PPA.
 
La nécessité de mettre en place des systèmes de garantie pour les PPA est également mentionnée à l'article 19 bis de la proposition de la Commission relative à l'organisation du marché[11]. De tels dispositifs ont vocation à réduire les risques financiers liés au défaut de paiement des acheteurs dans le cadre de ces contrats de long terme et pourrait ainsi conduire à une normalisation de l'utilisation des PPA.
 
Si le mécanisme français repose sur des fonds opérés par une banque publique (Bpifrance), des réflexions plus approfondies devraient être menées pour identifier comment de tels systèmes de garantie pourraient être introduits et financés dans d'autres États membres.
  
  • Zones d'accélération pour l'implantation d'installations terrestres de production d'énergies renouvelables (art. 15)

Ces zones permettent aux projets qui y sont implantés de bénéficier de certains délais de procédure administrative encadrés (délai de quinze jours à compter de l'enquête publique pour que le commissaire enquêteur ou la commission d'enquête rende son rapport et ses conclusions motivées ; délai d'examen de trois mois de l'autorisation environnementale) ainsi que d'avantages dans les procédures d’appel d’offres (prise en compte de l'implantation dans une zone d'accélération comme critère d'attribution dans le cadre de l'appel d'offres ; modulation du tarif de rachat de l'électricité produite, afin de compenser tout ou partie des pertes de productible dues à des conditions d'implantation moins favorables que la moyenne dans la zone du projet).
 
La procédure d'identification de ces zones prévues par l'article 15 de la loi est toutefois particulièrement complexe et soumise à l'avis conforme des communes, de sorte que l'instauration de telles zones pourrait nécessiter des délais et soulever des oppositions peu compatibles avec l'objectif affiché d'accélération. Le 10 mai 2023, un portail géographique EnR[12] a été mise en place sur le site de l'IGN afin de rassembler les informations publiques permettant d’appuyer les communes dans l’identification de ces zones.
 
À Bruxelles, la notion de "zones propices au déploiement des énergies renouvelables" a également été largement développée. Dans le cadre du plan REPower EU, la proposition RED III et la recommandation de la Commission sur l'accélération de l'octroi de permis pour les projets d'énergie renouvelable prévoient l'identification de "zones propices". Il s'agit de sites spécifiques, terrestres ou maritimes, particulièrement adaptés à la production d'énergie à partir de sources renouvelables. Selon la proposition, les États membres devraient donner la priorité aux surfaces artificielles et bâties (c'est-à-dire les toits, les zones d'infrastructures de transport, les aires de stationnement et les sites industriels) et exclure les sites Natura 2000.
 
À cet égard, la loi française est parfaitement alignée sur le cadre européen. La détermination effective de ces "zones propices" représente encore un défi en termes d'application concrète. En effet, une coopération étroite avec les collectivités locales sera essentielle pour identifier les zones potentielles. De plus, cette cartographie pourrait avoir des conséquences sur le prix des terrains et donc devenir un frein au déploiement si elle n'est pas correctement mise en œuvre. En ce sens, si les dispositions inscrites à la fois dans la directive RED III et dans la réforme de l'organisation du marché de l'électricité sont clairement en faveur d'un développement intensif des sources d'énergie renouvelables, il sera intéressant de suivre de près la manière dont les États membres concilient leur mise en œuvre avec leurs caractéristiques et contraintes nationales.
 
Par ailleurs, on relèvera que dans ses lignes directrices politiques, le gouvernement wallon, a indiqué envisager d'élargir le champ d'application de la loi sur l'expropriation afin de créer une présomption d'intérêt général concernant les installations de projets d'énergie renouvelable. Cette présomption permettrait de réaliser des expropriations dans les zones favorables sélectionnées. En pratique, cette mesure permettrait très probablement de lever certains obstacles au déploiement des énergies renouvelables. On peut toutefois légitimement s'interroger sur le point de savoir si la sécurité d'approvisionnement énergétique est de nature à justifier une telle atteinte au droit de propriété.
 
  • Renforcement des obligations d'équiper les parcs de stationnement d'installations photovoltaïques (art. 40 et 41)

La loi prévoit de nombreuses mesures visant à favoriser le développement de l'énergie solaire. En particulier, l'article 40 de la loi impose désormais, pour les parcs de stationnement extérieurs d'une superficie supérieure à 1500m2, d'être équipés, sur au moins la moitié de leur superficie, d'ombrières intégrant un procédé de production d'énergies renouvelables sur la totalité de la partie supérieure assurant l'ombrage.
 
En cas de méconnaissance de cette obligation, le gestionnaire du parc de stationnement pourra se voir infliger une sanction pécuniaire pouvant aller jusqu'à 40 000 euros chaque année jusqu'à la mise en conformité.
 
Dans le même esprit, la loi d'accélération des EnR créé un cadre normatif pour les projets agrivoltaïques[13] s'inscrivant dans l'objectif de promouvoir le développement d'installations photovoltaïques sur des parcelles agricoles tout en prévenant le risques de conflit d'usages des terres, précieuses tant pour la production agricole que pour la production énergétique.
 
Cette notion étant encore naissante et faisant l'objet de nombreuses contestations en France mais aussi dans la région Bénélux, il sera intéressant d'analyser sa mise en œuvre concrète en France et son adéquation avec les différents cadres juridiques nationaux et européen.
 

Conclusion

 
Avec cette nouvelle loi française sur l'accélération des énergies renouvelables, la France prend une longueur d'avance sur les pays européens en transformant les objectifs politiques en matière de climat en obligations légales pratiques relatives à l'accélération des énergies renouvelables. Il reste désormais à voir si ce cadre permettra effectivement à la France d'augmenter sa production d'énergie issue des sources renouvelables et de contribuer efficacement aux objectifs de transition énergétique de l'UE. En tout état de cause, cette loi nouvellement adoptée sera complétée par plusieurs mesures d'application règlementaires, qui conduiront à la création d'un régime juridique complexe. De la même manière, la profusion de textes à Bruxelles dans le secteur de l'énergie rend le rôle des avocats spécialisés dans les systèmes juridiques nationaux et européens essentiel pour parvenir à une application efficace de ces régimes, lesquels devront inévitablement cohabiter afin d'atteindre les objectifs climatiques français et européens.
 

[1] Toutefois certains cavaliers législatifs (articles introduit lors de la discussion du texte au Parlement mais n'ayant pas de lien direct avec l'objet de la loi) ont été déclarés contraires à la Constitution par le Conseil constitutionnel (décision n°2023-848 DC du 9 mars 2023).
[4] Les autorisations concernées sont les suivantes : autorisations environnementales, autorisations uniques relatives aux éoliennes situées en zone économique exclusive et permis de construire autorisant la construction des centrales photovoltaïques.
[5] Proposition du règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant les règlements (UE) 2019/943 et (UE) 2019/942 ainsi que les directives (UE) 2018/2001 et (UE) 2019/944 afin d’améliorer l’organisation du marché de l’électricité de l’Union
[6] Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive (UE) 2018/2001 du Parlement européen et du Conseil, le règlement (UE) 2018/1999 du Parlement européen et du Conseil et la directive 98/70/CE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne la promotion de l’énergie produite à partir de sources renouvelables, et abrogeant la directive (UE) 2015/652 du Conseil.
[7]  Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive (UE) 2018/2001 relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables, la directive 2010/31/UE sur la performance énergétique des bâtiments et la directive 2012/27/UE relative à l’efficacité énergétique. 
[8] Ces trois conditions sont : (i) l’absence de solution alternative satisfaisante, (ii) le fait de ne pas nuire au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle et, (iii) s’agissant notamment des éoliennes, le fait que le projet réponde, par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu, à une RIIPM (4° de l'article L. 411-2 du code de l'environnement).
[9] Article 3 du règlement (UE) 2022/2577 du Conseil du 22 décembre 2022 établissant un cadre en vue d'accélérer le déploiement des énergies renouvelables.
[10] E-Cube, Analyse des dynamiques et des mécanismes publics de soutien aux énergies renouvelables favorables aux PPA en Europe, 10 février 2022.
[11] Proposition de Règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant les règlements (UE) 2019/943 et (UE) 2019/942 ainsi que les directives (UE) 2018/2001 et (UE) 2019/944 afin d’améliorer l’organisation du marché de l’électricité de l’Union.
[12] https://geoservices.ign.fr/portail-cartographique-enr
[13] L’installation agrivoltaïque est définie comme une installation de production d'électricité utilisant l'énergie radiative du soleil et dont les modules sont situés sur une parcelle agricole où ils contribuent durablement à l'installation, au maintien ou au développement d'une production agricole. Elle doit apporter directement à la parcelle agricole un ou plusieurs services, permettant de garantir une production agricole significative et un revenu durable (article 54 de la loi).

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